Une porte qui claque, les cris qui s’élèvent, la tension qui monte. Depuis son plus jeune âge, Ambrosia vivait ce genre de scènes, enfermée dans sa chambre, attendant que le temps passe. Dans ces moments là, elle se recroquevillait dans son lit, se demandant combien de temps la dispute mettrait t-elle à se terminer. Il y aura-t-il des coups ? Ambre avait surpris son père frapper sa mère il y a peu. Ou peut être l’avait – elle toujours vu, mais elle n’avait jamais eu l’âge de comprendre jusqu’à aujourd’hui. Elle n’était pas celle qui avait mal, elle n’était pas celle qui souffrait le plus, sans doute. Mais intérieurement, c’était un véritable combat d’haine et d’amour. Beaucoup plus jeune, quand elle n’avait pas encore compris que son père était un salaud qui trompait et frappait sa mère, elle l’idolâtrait. C’était son papa, l’homme de sa vie, celui qui serait toujours là pour elle. Et cet amour tout à fait normal pour une petite fille finit peu à peu par se transformer en haine au fur et à mesure qu’Ambre comprenait que sa mère était malheureuse à cause de lui. Sa mère, elle n’en parlait jamais. Quand elle allait chercher sa fille pour manger après une dispute violente avec son mari, elle avait un grand sourire sur le visage, pour cacher les larmes qui avaient coulé le long de ses joues. Ambre aurait voulu que sa mère se confie, qu’elle vienne s’asseoir à coté d’elle et lui parle. Elle voulait comprendre pourquoi elle restait encore avec lui après tant d’années de malheur. Il suffirait de quitter cette maison, de partir loin d’ici. Mais ce n’était pas à Ambre de prendre cette décision et ce n’était pas à elle d’engager la conversation. Alors quand sa mère l’appelait elle se levait et allait manger sans un mot. Elle n’arrivait pas à travailler pour l’école, n’avait pas énormément d’amis car elle était bien trop mûre pour son âge et surtout, avait une vision noire de l’amour. Pour elle, il était synonyme de pleurs et de souffrances. Physiques comme psychologiques.

« Cap ou pas Cap d’embrasser un mec de cette pièce ? » Ambrosia savait que ce jeu allait finir par la mettre mal à l’aise. Elle avait accepté d’aller à cette fête pour rire un peu avec ses amies mais au final, elle se demandait si elle avait bien fait de venir. Des tas de gens qu’elle ne connaissait pas étaient là et surtout, il y avait pas mal de mecs aux regards et aux mains baladeuses. Si un seul osait venir la toucher, elle ne savait pas comment elle réagirait. Enfin si, elle s’enfuirait en courant. Elle avait presque 18 ans mais elle n’avait jamais rien vécu avec un garçon. Elle n’y pensait pas, elle n’écoutait pas toutes les filles autour d’elle qui racontaient leurs expériences sexuelles. Elle n’avait pas envie de savoir. Quand un homme s’approchait d’elle, elle revoyait son père la frapper elle ou sa mère. Et elle sentait qu’elle allait vivre très longtemps vivre avec ce sentiment, ce blocage. « Ambre ? Cap alors ? » Comment connaissait il son nom celui là déjà ? Elle ne l’avait jamais vu et il se permettait de lui poser ce genre de cap ou pas cap. Enfin bon, c’était le jeu, et tout le monde prenait ça à la rigolade. Et personne, même ses amies, ne comprendraient pourquoi elle refuserait d’embrasser un garçon dans cette pièce. Pourtant, c’est ce qu’elle fit. . « J’ai passé l’âge de ce genre de gamineries. » La bonne excuse.

Il était tard ce soir là quand Ambrosia rentra chez elle. Elle avait pris cette habitude, depuis qu’elle avait atteint sa majorité, de rentrer le plus tard possible pour éviter de croiser son père, et même sa mère d’ailleurs. Même si elle savait qu’elle était la victime dans l’histoire, elle n’acceptait pas et elle comprenait encore moins pourquoi elle restait avec lui. Ambre avait envie de partir vivre ailleurs mais elle n’en avait ni les moyens ni l’excuse, elle se contentait donc de passer le moins de temps possible chez elle. Mais ce soir là, quand elle poussa la porte de sa chambre alors qu’il devait être quelque chose comme minuit, son père l’y attendait. « Qu’est ce que tu fous là ? » Malgré son manque de confiance en elle et le fait qu’elle est une vie assez dure, Ambre avait toujours eu un fort caractère, elle était assez impulsive voir colérique. Parfois, elle se disait qu’elle tenait ça de son père, mais elle balayait bien vite cette pensée. « Tu devrais parler autrement à ton père, jeune fille. » Elle détestait le ton qu’il employait avec elle, comme s’il était supérieur et qu’il avait une autorité sur elle. Elle lui parlait rarement et elle rentrait tard justement pour éviter ce genre d’altercation. Elle voulait éviter de le mettre en colère tout en ne pouvait pas contenir la sienne. « Sinon quoi ? Tu vas me frapper comme tu frappes maman ? Allez. Va trouver quelqu’un d’autre sur qui te défouler. » Le regard de son père s’assombrit un peu plus. Elle n’avait jamais parlé de ça avec eux, et avec personne d’autre d’ailleurs. Savoir qu’il n’était pas discret et que sa fille était au courant ne devait certainement pas lui plaire. Mais c’était la vérité alors, pourquoi s’en cacher ? « Et sors de ma chambre putain. » Celui-ci resta assis sur son lit, chose qu’elle détesta. Elle n’avait maintenant plus aucune envie de s’allonger dedans en sachant que son père y était resté tant de temps. « Je t’ai dit de SORTIR. » Soudainement, il se leva. Et contre toute attente, il leva la main sur elle. Une fois, puis deux. Elle se retrouva recroquevillée contre un mur. Et enfin, il partit.

« Qu’est ce que tu fais ma chérie ? » Le lendemain matin, après n’avoir pas dormi de la nuit, Ambre sortit une valise du grenier et entreprit de prendre toutes ses affaires à l’intérieur. Bien sur, tout ne rentrerait pas et elle devrait en laisser quelques unes ici, mais elle s’en foutait. Elle voulait juste partir, partir très loin. A un endroit où plus jamais elle n’entendrait parler de cette putain de famille, qu’elle considérait plus comme des étrangers. « Je pars, c’est plutôt facile à comprendre, non ? » Sa mère la regarda, les larmes aux yeux. Mais Ambre au contraire n’avait jamais été aussi sûre d’elle. Elle ne voulait pas rester dans cette maison à l’ambiance étouffante une seconde de plus. Elle sentait encore les coups qu’il avait osé poser sur son corps. « Et ne me regarde pas comme ça, c’est TOI qui aurait du prendre cette décision depuis des années. C’est à cause de TOI si tu es malheureuse et si je le suis aussi. Prends en main ton destin maman, juste une fois dans ta vie, prends une décision qui te sera bénéfique.  » Mais en voyant que sa mère ne quitterait pas le domicile familial, Ambre leva les yeux au ciel et le quitta elle-même, emportant malheureusement tout un tas de mauvais souvenirs avec elle.

Il était tout pour elle. Son meilleur ami, son confident, celui à qui elle disait tout, le seul homme en qui elle avait confiance. Elle l’avait rencontré à cette soirée stupide il y a des années de cela, celle où elle avait refusé d’embrasser un garçon lors d’un cap ou pas cap. Il avait tout de suite compris qu’elle n’allait pas bien derrière l’assurance qu’elle essayait de se donner. Alors il était allé la voir. Ils n’avaient pas dit un mot. Elle se souviendrait toujours de ces heures entières qu’ils avaient passé sans se parler, ils étaient juste là, l’un à côté de l’autre, comme s’il attendait son accord pour pouvoir engager la conversation. Et finalement, c’est elle qui la commença. Et aujourd’hui, cela fait environ 3 ans qu’ils ne peuvent plus se passer l’un de l’autre. Elle lui raconte tout, il est le seul à connaitre la vérité sur ses parents. Mais malgré cette confiance qu’elle a pour lui, jamais leur corps ne s’est frôlé. Ambre en avait parfois envie mais ce blocage l’empêchait de le faire et surtout, elle n’avait pas envie d’espérer quoi que ce soit de plus du jeune homme, il était son meilleur ami et elle n’avait pas envie de tout briser, de devenir mal à l’aise en étant rejetée. Ce soir là pourtant, elle avait voulu faire un pas vers lui. Un pas non pas physique mais plutôt psychologique, elle venait de décider de partir de chez elle et elle avait besoin de lui, elle voulait qu’il parte avec elle. « Qu’est ce que tu fais avec cette valise ? » Ambrosia le regarda dans les yeux, elle voulait qu’il comprenne que c’était important. En un seul regard, lui se rendit compte que quelque chose de grave s’était produit. « Je vais partir loin d’ici. Et je veux que tu viennes avec moi.  » S’il acceptait, quelque chose en elle lui disait que peut être leur relation allait évoluer, qu’ils allaient se rapprocher encore un peu plus, que peut être elle allait enfin savoir se débloquer, se donner à un homme, se donner à lui. Combien de fois avait – elle eu envie de le serrer contre elle ? De se laisser aller ? Elle avait juste eu peur qu’il se foute d’elle, qu’il ne veuille pas d’une fille comme elle, qui n’avait encore jamais eu d’expérience avec un garçon.   « Ambre .. je .. j’ai mon travail ici, ma famille .. je ne peux pas tout plaquer comme ça .. » Elle lui avait lancé un regard noir. Elle aurait voulu pleurer toutes les larmes de son corps mais elle se retint. Elle n’avait pas envie qu’il la voit comme une pauvre fille sans défense. Elle pouvait très bien se débrouiller sans lui. « Très bien. J’espère que ta famille ne te décevra jamais.   » Et c’est sur ces mots que la jeune fille quitta l’appartement, sans se retourner. Quand il lui avait rattrapé le bras, elle avait simplement continué d’avancer, donnant un coup sec pour qu’il la lâche. C’était trop tard. Il l’avait laissée seule et elle espérer qu’il s’en morde longtemps les doigts.

Maintenant un an qu’Ambrosia était à Folly Beach. Ici, elle était presque heureuse. Elle avait des amis, il lui arrivait de sortir le soir, elle faisait beaucoup de sport, avait trouvé un travail facilement. Malheureusement il lui arrivait d’avoir quelques soucis pour payer son loyer mais là n’était pas vraiment le problème. Malgré l’entourage qu’elle avait, elle se sentait seule sentimentalement parlant. Quand elle voyait tous ces couples autour d’elle, c’était encore pire. Elle avait vingt et un an et elle était toujours pure, vierge. C’était un constat, pas un choix. Elle aurait aimé savoir se laisser aller, faire comme toutes ces filles qui font ça à 16 ans. Mais elle n’y arrivait pas. Et par conséquent, même si elle n’en parlait pas, elle en souffrait beaucoup.